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«La peur entraîne des réactions défensives ou de déni»

Lisa Moussaoui est psychologue spécialisée dans les comportements pro-environnementaux. Chargée de cours à l’Université de Genève et fondatrice du bureau Behaviour Change Expertise (Genève), nous lui avons demandé pourquoi l’esprit humain est si lent à amorcer des changements de comportement face à la menace climatique.

Propos recueillis par Joëlle LORETAN
Publié le
26
/
09
/
2023
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Cet article à été réalisé en partenariat avec:

Sacré esprit humain! Il n’en fait qu’à sa tête, malgré les électrochocs de ces dernières années: les phénomènes extrêmes liés au réchauffement climatique s’enchaînent et les constats scientifiques alarmants se succèdent. La cause est connue: nous, êtres humains, et nos comportements grands émetteurs de gaz à effet de serre. Puisque nous générons le problème, il serait facile de penser que nous avons la solution. Mais ce n’est pas si simple, car changer ses habitudes n’est pas qu’une affaire personnelle. Quels sont les mécanismes psychologiques qui sous-tendent notre inaction? Nous avons posé la question à Lisa Moussaoui, spécialiste des comportements collectifs et des techniques de changement de comportement.

«Il faut montrer qu’il est possible de faire face à la menace climatique.» LISA MOUSSAOUI, spécialiste des comportements pro-environnementaux

go2050: À moins d’être totalement déconnecté de l’actualité du monde ou d’être un climato-sceptique convaincu, impossible d’ignorer le changement climatique en cours. Alors pourquoi avons-nous tant de mal à adopter des comportements plus respectueux de l’environnement?

Lisa Moussaoui Je ne suis pas persuadée que tout le monde sache vraiment qu’il faut changer nos comportements. En Suisse, on peut avoir tendance à penser qu’ils ont peu d’influence, parce qu’on est un petit pays et que, comparé à la Chine ou aux États-Unis, nos actions ne vont rien changer. Il y a aussi cette idée fausse que grâce à la technologie, aux panneaux solaires ou aux voitures électriques, on peut continuer ainsi. Or, pour un changement fort, il faut que chacun ait réellement conscience du problème et se sente personnellement responsable.

Quels sont les facteurs qui nous poussent à (ré)agir?

Ces facteurs sont aussi nombreux et complexes que les comportements. Ils peuvent être individuels (quels sont mon niveau de conscience du problème, mes croyances et mes valeurs?), sociaux (mes proches me soutiennent-ils dans ma démarche?), contextuels (y a-t-il l’infrastructure nécessaire proche de chez moi?) ou politiques (les lois et les incitations financières favorisent-elles le changement?). On sait qu’il est plus facile de changer ses habitudes lorsque le contexte change ou qu’un événement se produit dans notre vie, comme un déménagement, une naissance ou un divorce. On sait aussi qu’une fois que l’on a pris la décision de changer, on a déjà fait une grosse partie du processus! Reste ensuite à mettre en place ses intentions, ce qui n’est pas forcément évident. La planification peut aider, en fixant notamment une date pour commencer à changer une habitude, afin de réduire le risque de procrastination. Une autre bonne idée est d’anticiper les difficultés. Ainsi, si je décide de me rendre au travail à vélo, j’anticipe la question du mauvais temps, en identifiant par exemple les options en transports publics, pour éviter de reprendre ma voiture les jours de pluie.

Après la prise de conscience, il y a toutefois du chemin à faire jusqu’à l’action concrète et l’ancrage de ses bonnes intentions…

Le changement est un processus par étapes. Pour accompagner le changement et permettre de le maintenir dans le temps, nous disposons en psychologie du «modèle transthéorique du changement», développé pour accompagner les consommateurs de drogues. Il est applicable à d’autres comportements, dont ceux ayant un impact sur l’environnement.

Certains d’entre nous n’arriveront-ils jamais à changer leurs comportements afin d’être plus en phase avec la réalité climatique?

Difficile de répondre de manière définitive, mais il y a une petite partie du public qui n’est pas convaincue par les arguments scientifiques, et donc avec qui il est compliqué d’argumenter. Mieux vaut s’intéresser à la majorité hésitante, qui se questionne ou qui veut changer et souhaite être accompagnée dans cette démarche.

On perçoit mal les problèmes environnementaux: trop loin géographiquement ou dans le temps, et parfois invisibles. Y a-t-il des moyens de les rendre plus tangibles?

Dans ma thèse, j’ai comparé différents messages: les premiers évoquaient la nécessité de faire des économies d’énergie pour «sauver la planète», soit une manière abstraite mais assez standard de communiquer aujourd’hui. Les seconds parlaient de réduire la consommation «dans les bâtiments de l’Université». Le deuxième a eu le plus gros impact, parce qu’il touche à un but proche et plus concret, mais également parce que l’influence de l’action individuelle est perçue comme plus forte.

Plus d’infos (en anglais) sur le modèle des étapes du changement: cliquez-ici

«Sauver la planète»… Il s’agit surtout de sauver l’humanité et de nombreuses espèces animales! A-t-on peur de nommer les choses clairement?

Là encore, les mots que l’on utilise ont un impact. Mais il ne faut pas non plus être anxiogène, car des études montrent que lorsqu’on fait trop peur aux gens, ils se sentent incapables d’affronter la menace et adoptent des réactions défensives ou de déni. Et puis, même si le message que l’on doit transmettre comporte des propos menaçants, il faut dans tous les cas apporter des solutions. Or c’est peut-être là que ça pêche dans les discours dominants.

J’ai envie de faire quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Comment peut-on procéder?

Repérez les actions qui ont le plus de poids dans votre mode de vie et demandez-vous ce qui vous pousse à ne pas agir autrement. Une fois que vous avez conscience des barrières, pensez-vous que certaines d’entre elles sont modifiables? Une manière d’entamer le changement est de procéder par étapes, en se fixant des objectifs de manière progressive: réduire ses achats de vêtements durant un mois, puis passer à la seconde main, avant de réparer soi-même ses habits, par exemple.

Comment parvenez-vous à vous (re)motiver lorsque vous croyez moins en ces changements qui tardent?

Au-delà de mes actions individuelles au quotidien, j’essaie de m’impliquer dans des collectifs et d’être entourée de personnes qui font également des efforts, par exemple dans une épicerie participative à Genève. Ça m’aide aussi de regarder le grand nombre d’actions positives menées par certaines institutions. Il faut montrer qu’il est possible de faire face à la menace climatique et que beaucoup sont déjà en mouvement.

PHOTO: NATHALIE MELLA-BARRACO

Également disponible dans:
N° 1 - Septembre 2023
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