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«Construire le sentiment que l’on peut agir ensemble»

Comment parler du réchauffement climatique aux enfants? Comment sensibiliser sans effrayer? Laure Kloetzer est professeure à l’Institut de psychologie et éducation de l’Université de Neuchâtel. Elle nous apporte son éclairage.

Propos recueillis par Élodie Maître-Arnaud
Publié le
14
/
12
/
2023
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Cet article à été réalisé en partenariat avec:

Baignés dans un discours souvent très anxiogène, de nombreux enfants posent très rapidement des questions sur l’avenir de la planète. Des sujets complexes et pas toujours faciles à aborder pour leurs parents. Comment trouver les mots justes pour expliquer sans dramatiser? Pour la psychologue Laure Kloetzer, qui a développé un axe de recherche et d’enseignement sur la psychologie de l’environnement à l’Université de Neuchâtel, il est important de parler aux enfants de la façon la plus authentique et la plus honnête possible et de mettre les actions concrètes au premier plan.

GO2050 Comment aborder les questions climatiques et environnementales avec ses enfants?

Laure Kloetzer Entendre ses parents avoir une parole claire et responsable sur le sujet est important pour l’enfant. Évidemment, on n’aborde pas ces questions de la même manière avec un enfant de 4, 8 ou 12 ans ou avec un ado. J’aurais envie de renverser la question et de demander s’il ne faut pas d’abord les écouter. La parole des adultes sur ces sujets est en effet largement décrédibilisée. Commencer par entendre l’enfant permet, surtout chez les plus petits, de ne pas attaquer de front les problématiques du changement climatique et de la crise environnementale. Mais plutôt – et c’est fondamental pour la suite – de jouer sur l’émerveillement par rapport à la nature, à travers des activités qui ont du sens. La recherche scientifique l’a bien montré: l’intensité des relations d’un enfant avec la nature fait de lui un adulte responsable d’en prendre soin, en particulier si c’est un parent, un enseignant ou un mentor qui lui montre la valeur de notre environnement.

Mieux vaut donc montrer l’exemple?

Le langage est important, mais l’action est en effet plus efficace avec les petits: une promenade en forêt, le soin apporté au potager ou aux plantes du balcon, etc. On a finalement moins besoin de recevoir des instructions sur la façon dont on doit se comporter que de créer une relation avec le vivant. Pour les plus jeunes, même s’il est important de leur dire, par exemple, de ne pas jeter de papiers dans la forêt, mieux vaut prendre le temps de leur montrer des choses qu’ils n’auraient pas remarqué seuls, comme les interactions entre les arbres et les champignons. Cela aide les enfants à comprendre que nous faisons tous partie d’un même système vivant.

Quand on souhaite mettre des mots, que devrait-on dire?

On parle ici d’enfants un peu plus grands, à partir de 9 ou 10 ans. La première chose à leur dire est qu’il ne s’agit pas uniquement d’une crise environnementale. C’est une crise humaine et sociale, liée à nos activités. Cette approche permet de se donner des moyens d’agir, ce qui est très important. En effet, ce qui est anxiogène est moins la situation elle-même que l’impuissance ressentie. Lorsque l’on aborde ces questions avec des enfants, il est donc important de reconnaître notre part de responsabilité, afin de passer à l’action. Et s’il est compliqué d’agir individuellement sur le changement climatique – parce que c’est un phénomène à très grande échelle –, on peut toutefois mener facilement des actions locales pour améliorer la biodiversité, par exemple en consacrant un coin du jardin aux plantes utiles aux polinisateurs. Les résultats sont concrets, visibles, ce qui est très valorisant pour les enfants. Il faut construire avec eux ce sentiment que l’on peut agir ensemble.

C’est donc l’action qui rassure…

Exactement. C’est important de mettre les actions concrètes au premier plan. Pour les petits, l’action est d’aller apprécier les choses en contexte, de prendre soin d’une plante ou d’un animal. Pour les plus grands, elle est dans la prise de responsabilité. Cela évite le déni, car ce qui effraie le plus les enfants, c’est un adulte enfermé dans une peur, sans moyen d’action.

Peut-on toutefois faire part de ses inquiétudes d’adulte?

La situation est inquiétante et les adultes ne doivent pas le cacher! À nous cependant de souligner ce que l’on peut faire à différents niveaux et de nous impliquer concrètement dans différentes actions avec les jeunes.

Sur quels supports peut-on s’appuyer pour parler du climat et de l’environnement avec ses enfants?

Il y a toute une littérature de qualité pour aborder ces questions. Pour les plus jeunes, nous avons la chance en Suisse d’avoir la Petite Salamandre, qui met en avant un rapport affectif et esthétique à la nature. Pour les ados et adultes qui cherchent une information précise et complète, je recommande L’Atlas de l’Anthropocène aux Presses de Sciences Po; c’est une bonne ressource, très abordable.

Difficile pour les enfants de ne pas être confrontés à des propos ou à des images très inquiétantes sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Quelle attitude adopter en tant que parent?

La façon dont les enfants sont exposés aux questions climatiques et environnementales peut en effet être problématique. Comme pour tout autre thème compliqué, l’important est de les accompagner. Regarder ou écouter ensemble, en discuter et en rediscuter. Les repas familiaux sont des moments privilégiés pour aborder ce type de sujet. Les plus grands doivent également appréhender les causes du changement climatique. Il faut aussi discuter de responsabilité politique et les inviter à réfléchir à la façon dont on doit faire évoluer le cadre légal et la société. Il y a là un véritable enjeu démocratique.

Comment les questions climatiques et environnementales sont-elles abordées à l’école?

Selon les pays, on sensibilise plus ou moins les enfants au «développement durable». Le choix de cette formulation (qui est aussi celle de votre magazine!) dans le domaine éducatif n’est pas anodin, car elle neutralise les contradictions entre économie et environnement. C’est un sujet transversal, dont le traitement dépend beaucoup de la sensibilité des enseignants. Certains établissements organisent une Journée de la durabilité ou une Fresque du climat. De plus en plus d’enseignants emmènent régulièrement leurs élèves dans la nature; il y a une tradition dans ce domaine en Suisse, en expansion. Cette approche, à mon avis très fructueuse, est d’ailleurs intégrée officiellement depuis longtemps dans les pays nordiques ou au Royaume-Uni (avec les «écoles en forêt»).

Que faire si son enfant est vraiment très angoissé par rapport au changement climatique?

C’est une question de degré. Se sentir inquiet pour le climat et l’environnement est un signe de bonne santé mentale. Il faut entendre cette inquiétude et reconnaître sa légitimité. Mais si on constate des comportements réellement anxieux chez un enfant (retrait, mutisme, somatisation, etc.), il est évidemment très important de consulter un psychologue. Soyons attentifs, car si certains admettent ouvertement leur éco-anxiété, d’autres sont dans le déni, sans doute parce qu’une partie de la société continue de proposer des messages qui vont à l’encontre des comportements pro-environnementaux. D’autres encore, surtout à l’adolescence, cachent leur anxiété, car ce n’est pas valorisé socialement. En tout cas, ce n’est pas un sujet de conversation pour la plupart des ados. Il ressort d’un projet de recherche que nous avons mené récemment en Suisse et en France avec des jeunes entre 11 et 17 ans que même si les problématiques environnementales sont inquiétantes pour une grande partie d’entre eux, ce n’est pas leur premier sujet de préoccupation.

Également disponible dans:
N° 2 - Décembre 2023
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