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LE DOSSIER

Climat - La guerre de l’eau aura-t-elle lieu ?

On l’appelle l’or bleu et les prévisions les plus sérieuses annoncent qu’elle sera au centre de prochains grands conflits nationaux et internationaux. Avant de nous disputer l’eau, saurons-nous la partager ? Plongée à la source de cette ressource, pour mieux comprendre les services qu’elle nous rend et les enjeux à affronter.

Texte Joëlle Loretan • Illustrations Amélie Touchet
Publié le
31
/
05
/
2024
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Cet article à été réalisé en partenariat avec:

Le titre de cet article peut sembler alarmiste. Cependant, les tensions autour de l’eau sont bien réelles. Si, en Suisse, nous sommes encore relativement épargnés, la situation est plus inquiétante à l’extérieur de nos frontières. En France, les projets de construction de méga-bassines de rétention ont provoqué de violents affrontements – et fait des blessés graves – entre activistes écologistes et forces de l’ordre ; en Europe, les sécheresses de ces dernières années sont qualifiées d’historiques, avec des pénuries d’eau répétées et des répercussions sur la population ; en Afrique subsaharienne, l’UNICEF rapporte qu’environ 500 enfants meurent chaque jour faute d’accès à une eau potable. Rien ne semble étancher notre soif. La situation est à ce point critique que le Forum économique mondial de Davos identifie la raréfaction de l’eau comme l’un des risques majeurs pour la prochaine décennie à l’échelle de la planète. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, prévient lui aussi : « Une surconsommation et un surdéveloppement vampiriques, une exploitation non durable des ressources en eau, la pollution et le réchauffement climatique incontrôlé sont en train d’épuiser, goutte après goutte, cette source de vie. L’humanité s’est engagée aveuglément sur un chemin périlleux. » L’approvisionnement en eau en quantité et en qualité suffisantes ainsi que sa gestion et ses usages seront, dans les années à venir, un immense défi. Chez nous aussi.

Déjà des tensions en Suisse

« La Suisse possède d’abondantes ressources en eau, qui perdureront malgré les changements climatiques », tempère l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Même si, durant la saison chaude, le débit des ruisseaux et rivières sera plus faible qu’aujourd’hui, tandis que les épisodes de sécheresse seront plus longs et plus fréquents. « À l’heure actuelle, par temps chaud et sec, de nombreux cours d’eau et eaux souterraines de petite taille ne fournissent déjà plus d’eau pour l’irrigation », confirme le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). La répartition des ressources en eau n’est toutefois pas uniforme à travers le pays, influencée notamment par la présence (ou non) de glaciers ou de nappes phréatiques, entre autres. La commune valaisanne de Grimisuat a surpris en mars dernier lorsqu’elle a annoncé limiter sa population à 5000 habitants, en fonction de ses ressources en eau disponibles. Si la situation est inédite en Suisse, treize communes situées en Haute-Savoie (France) suspendaient provisoirement la délivrance des permis de construire en 2023, en raison de la baisse de la ressource.

Et Grimisuat n’est pas la seule à avoir cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, précise Laurent Horvath, délégué à l’eau pour le canton du Valais : « C’est l’ensemble de la rive droite du Rhône, entre Saillon et le Lötschental, qui est confronté à la problématique de l’eau », explique-t-il. La rive gauche du Rhône profite en effet de nombreux glaciers et se trouve dans une zone davantage protégée du soleil. A contrario, la rive droite est bien plus pauvre en glaciers et fait face au soleil. « Dans ces conditions, les stocks d’eau sous forme de glace sont nettement moins présents et cette partie du canton se trouve ainsi dans un plus grand stress hydrique », ajoute-t-il. Les projections suggèrent par ailleurs que d’ici à 2050 (dans vingt-cinq ans, donc), les trois quarts de l’eau stockée dans les montagnes helvétiques auront disparu. Une perte d’un réservoir crucial, qui augmentera durablement la sensibilité de la Suisse à la sécheresse.

La stratégie valaisanne

Le canton du Valais n’a pas attendu pour élaborer, dès 2014, une « Stratégie Eau », soit un plan d’action en 39 mesures pour une gestion durable de cette ressource. Chaque action tient compte de l’ordre de priorités suivant, à savoir : l’utilisation de l’eau comme eau potable ; la protection de l’eau en tant que ressource et la protection de l’homme contre les dangers naturels ; la valorisation de l’eau dans divers secteurs incluant l’électricité, l’agriculture, l’industrie, le tourisme, ainsi que les biotopes et les paysages. « Cette stratégie visionnaire reste tout à fait d’actualité », précise Laurent Horvath. Pour le délégué aux questions relatives à l’eau récemment nommé, il s’agit désormais d’anticiper et de planifier les besoins futurs, en incluant les nombreux acteurs qui gèrent la ressource, avec, au cœur des réflexions, le partage et la multifonctionnalité.

« Mon rôle est de continuer à déployer la stratégie cantonale, de fédérer et de soutenir les communes et les différents acteurs à s’adapter aux changements qui arrivent », résume-t-il. « Je vais m’attacher à favoriser une utilisation concertée de l’eau, avec l’objectif de garantir la sécurité d’approvisionnement et une collaboration renforcée entre les communes en cas de besoin ou de problèmes particuliers. » Parallèlement, la fin prochaine de nombreuses concessions hydrauliques dans le canton représente une opportunité stratégique. À terme, les communes pourront en effet prendre des décisions autonomes sur cet or bleu.

Et si l’eau manquait?

Il faut dire qu’en Suisse, si la gestion de l’eau est officiellement l’affaire des cantons, la réalité est plus nuancée, comme le précise Yann Rodriguez, directeur adjoint du BlueArk Entremont, un pôle d’innovation technologique et un laboratoire de données spécialisé dans la gestion de l’eau. « Selon la loi fédérale, les cantons sont chargés de s’organiser pour gérer leurs ressources en eau, mais ils transfèrent bien souvent cette responsabilité aux communes, qui délèguent à leur tour à des gestionnaires de réseaux de distribution. C’est un paysage morcelé, qui comprend de nombreux acteurs privés qui opèrent sous un mandat communal. Au final, c’est bien aux communes d’assurer la fourniture d’eau à leurs habitants. »

Si des pénuries d’eau prolongées venaient à nous toucher, quels seraient les domaines et les services qui seraient approvisionnés en premier ? « L’eau potable a la priorité sur les autres utilisations ! » répond Laurent Horvath. Rassurant pour notre survie, ce choix aurait aussi, le cas échéant, de quoi poser des problèmes majeurs pour l’activité économique du pays. D’où l’importance d’anticiper afin de développer des solutions pour préserver la ressource et ses usages (lire page 26). Le délégué à l’eau évoque encore ce paradoxe éloquent : « Lorsque l’eau est disponible et qu’elle coule de notre robinet, on ne la voit pas. C’est lorsqu’elle manque qu’elle devient visible. » Cette étrange réalité est applicable tant à l’eau qu’à l’électricité, deux ressources que nous semblons percevoir comme infinies, que nous consommons sans réelle conscience de la somme d’efforts, d’argent et d’acteurs concernés, et qui entrent aujourd’hui en crise. Yann Rodriguez, directeur adjoint du BlueArk Entremont, conclut quant à lui par un dernier conseil : « Sans pour autant parler de guerre, il est indispensable de changer notre regard sur l’eau et de modifier notre manière de l’appréhender pour relever les challenges du multiusage et de la gouvernance de cette ressource. »

À quoi sert l’eau?

L’industrie

Certaines industries utilisent de l’eau pour refroidir leurs installations, et leurs besoins devraient augmenter avec la hausse des températures. Il en va de même pour les secteurs financier et technologique, qui utilisent les eaux souterraines ou de rivières pour maintenir leurs serveurs informatiques au frais.

Le tourisme

Les activités touristiques consomment beaucoup d’eau potable, par exemple pour l’enneigement artificiel, le thermalisme et les besoins quotidiens. Les hauts lieux touristiques du pays connaissent d’importants pics de fréquentation, notamment en hiver, puisant abondamment dans les sources, ce qui contribue au manque d’eau en été.

Les loisirs

Piquer une tête dans une rivière, se prélasser dans un bain thermal, arroser son jardin ou encore faire du paddle sur un lac sont autant de moments de détente propices aux rencontres, aux échanges et au bien-être physique et psychique.

L’énergie

Les barrages et les centrales au fil de l’eau permettent la production électrique ; l’hydrothermie utilise l’eau (des lacs chez nous) pour rafraîchir et chauffer des bâtiments ; les systèmes de pompe à chaleur géothermique sur aquifère s’alimentent avec l’eau située dans le sous-sol. L’eau sert encore à refroidir les centrales nucléaires en Suisse, mais également en France, où les eaux du Rhône atteignent quatre centrales nucléaires et alimentent une vingtaine de centrales hydroélectriques.

Les besoins vitaux et sanitaires

L’eau potable est, d’une part, utilisée en tant que boisson et pour cuisiner et permet, d’autre part, de couvrir nos besoins d’hygiène, comme le lavage des mains, les douches et le brossage des dents.

La protection contre les dangers naturels

L’eau est indispensable pour éteindre les incendies, qui seront plus fréquents à l’avenir (en raison des sécheresses !). Les bassins de retenue des centrales hydroélectriques servent quant à eux à la protection contre les crues.

L’agriculture

Les exploitations agricoles utilisent des quantités très importantes d’eau pour l’irrigation des cultures et l’abreuvage des animaux. Selon le DETEC, si aucune mesure efficace de protection du climat n’est mise en œuvre, les cultures irriguées aujourd’hui auront besoin d’environ deux fois plus d’eau d’ici la fin du siècle.

La biodiversité

Nos lacs et nos cours d’eau abritent une grande biodiversité, mais les interventions anthropiques font disparaître ces espèces vivantes, et ce, plus rapidement encore que dans les milieux terrestres.

Parce que chaque litre compte, calculez votre consommation d’eau ! (site en anglais)

https://www.waterfootprint.org

À quoi sert l’eau?

L’industrie

Certaines industries utilisent de l’eau pour refroidir leurs installations, et leurs besoins devraient augmenter avec la hausse des températures. Il en va de même pour les secteurs financier et technologique, qui utilisent les eaux souterraines ou de rivières pour maintenir leurs serveurs informatiques au frais.

Le tourisme

Les activités touristiques consomment beaucoup d’eau potable, par exemple pour l’enneigement artificiel, le thermalisme et les besoins quotidiens. Les hauts lieux touristiques du pays connaissent d’importants pics de fréquentation, notamment en hiver, puisant abondamment dans les sources, ce qui contribue au manque d’eau en été.

Les loisirs

Piquer une tête dans une rivière, se prélasser dans un bain thermal, arroser son jardin ou encore faire du paddle sur un lac sont autant de moments de détente propices aux rencontres, aux échanges et au bien-être physique et psychique.

L’énergie

Les barrages et les centrales au fil de l’eau permettent la production électrique ; l’hydrothermie utilise l’eau (des lacs chez nous) pour rafraîchir et chauffer des bâtiments ; les systèmes de pompe à chaleur géothermique sur aquifère s’alimentent avec l’eau située dans le sous-sol. L’eau sert encore à refroidir les centrales nucléaires en Suisse, mais également en France, où les eaux du Rhône atteignent quatre centrales nucléaires et alimentent une vingtaine de centrales hydroélectriques.

Les besoins vitaux et sanitaires

L’eau potable est, d’une part, utilisée en tant que boisson et pour cuisiner et permet, d’autre part, de couvrir nos besoins d’hygiène, comme le lavage des mains, les douches et le brossage des dents.

La protection contre les dangers naturels

L’eau est indispensable pour éteindre les incendies, qui seront plus fréquents à l’avenir (en raison des sécheresses !). Les bassins de retenue des centrales hydroélectriques servent quant à eux à la protection contre les crues.

L’agriculture

Les exploitations agricoles utilisent des quantités très importantes d’eau pour l’irrigation des cultures et l’abreuvage des animaux. Selon le DETEC, si aucune mesure efficace de protection du climat n’est mise en œuvre, les cultures irriguées aujourd’hui auront besoin d’environ deux fois plus d’eau d’ici la fin du siècle.

La biodiversité

Nos lacs et nos cours d’eau abritent une grande biodiversité, mais les interventions anthropiques font disparaître ces espèces vivantes, et ce, plus rapidement encore que dans les milieux terrestres.

Comment préserver l’eau et ses usages?

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Avec des ressources en eau de plus en plus restreintes et des demandes croissantes en périodes de pointe, les tensions entre les différents usages vont augmenter. Il s’agit donc de repenser la répartition de l’eau, en prenant en compte tant les aspects géographiques (intercommunaux, intercantonaux, voire internationaux – comme le partage du Rhône avec la France) que les différents besoins (eau potable, agriculture, énergie, etc.).

Renaturer

De nombreuses zones alluviales et marais sont asséchés, certaines berges aménagées, et les fleuves utilisés pour produire de l’énergie. Engrais, produits phytosanitaires et autres micropolluants contaminent les cours d’eau. Et ce chiffre alarmant de la Confédération : plus de 50% de toutes les espèces vivantes dans les eaux et sur leurs rives sont menacées ou éteintes. Une stratégie nationale de revitalisation des cours d’eau vise à rétablir d’ici à 2090 les fonctions naturelles de 4000 km d’entre eux jugés en « mauvais état ».

Stocker

La multiplication des sécheresses estivales exerce une forte pression sur les cours d’eau, dont certains tronçons sont temporairement à sec. Des projets visent notamment à examiner la possibilité d’utiliser des réservoirs à l’échelon local et régional, et à explorer les possibilités de stockage dans les aquifères en hiver, afin que l’eau réintègre naturellement le lit des ruisseaux en été.

Auditer

Certains dénoncent le manque de vision d’ensemble de la Suisse sur les quantités d’eau consommées dans l’agriculture. D’où le projet Swiss-IrrigationInfo, financé par l’Office fédéral de l’environnement et réalisé par Agroscope et la Haute École spécialisée bernoise, visant à développer des méthodes d’estimation pour une gestion durable et lucide des ressources en eau dans le secteur agricole.

Modéliser

L’intégration de la technologie numérique est essentielle pour fournir aux décideurs les outils nécessaires à une gestion de l’eau efficace. Cela inclut notamment la numérisation des réseaux d’eau, l’installation de capteurs ou encore la modélisation de ces réseaux pour permettre des simulations. Un contrôle plus fin sur les installations et les réseaux permet également d’éviter des pertes et écoulements inutiles.

Économiser

De nombreuses approches et techniques innovantes sont développées pour économiser l’eau, dans tous les domaines évoqués précédemment (agriculture, industrie, tourisme, etc.). Et pour la population, les bonnes vieilles habitudes de consommation sont à portée de main : préférer les douches aux bains, installer des limiteurs de volume pour la chasse d’eau des toilettes, les pommeaux de douche et les robinets mitigeurs, ou encore des systèmes de récupération d’eaux de pluie pour l’arrosage.

Également disponible dans:
N° 3 - Mai 2024
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